La loi n°2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a adopté un ensemble de mesures pour traiter le système prostitutionnel dans sa globalité (cf. annexe 4). Ses mesures visent ainsi à :

  • renforcer la lutte contre proxénétisme, en étendant au proxénétisme le dispositif de signalement des contenus illicites sur internet, et en renforçant les mesures de protection des personnes témoignant à l’encontre des réseaux criminels ;

  • conforter l’engagement abolitionniste de la France, en abrogeant le délit de racolage, pour reconnaître les personnes prostituées comme des victimes, et en responsabilisant les clients, par la création d’une nouvelle infraction d’achat d’acte sexuel, quel que soit l’âge ou la situation de la personne prostituée ;

  • améliorer la prise en charge des personnes victimes de prostitution, de proxénétisme ou de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, avec la création d’un parcours de sortie de la prostitution, donnant accès à un accompagnement par une association agréée, à une autorisation provisoire de séjour et à une aide financière. Une commission départementale de lutte contre la prostitution est chargée, dans chaque département, d’organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution ;

  • prévenir les infections sexuellement transmissibles ainsi que les autres risques sanitaires, sociaux et psychologiques liés à la prostitution par des actions de réduction des risques définies dans un document national de référence ;

  • dispenser une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps dans les établissements secondaires afin de lutter contre la banalisation du phénomène parmi les mineurs.

Trois ans et demi après l’adoption de la loi, la prostitution en France a connu plusieurs évolutions de fond. La mise en relation entre les clients et les personnes qui se prostituent se fait désormais majoritairement par internet. La prostitution de rue a diminué et s’est parfois déportée vers des zones périphériques, tandis que la prostitution en intérieur a augmenté. En l’absence de données statistiques fiables antérieures à l’adoption de la loi et faute d’avoir mis en place des outils d’évaluation du phénomène à la suite de l’adoption de la loi, il est toutefois impossible d’évaluer la part de ces évolutions imputable au changement législatif et celle imputable à des tendances structurelles. L’invisibilisation croissante du phénomène complexifie par ailleurs tout travail d’évaluation quantitative. La mission a toutefois pu dégager des tendances et effectuer un bilan d’application de la loi.

La mise en œuvre de la loi a été considérablement freinée par une absence de portage politique et d’engagement volontariste des pouvoirs publics. Cette mise en œuvre, qui dépend de plusieurs ministères, souffre d’un manque de pilotage national. Il en résulte une faible application de certaines mesures (information des élèves sur la marchandisation des corps par exemple), et une hétérogénéité des pratiques sur le territoire (en matière d’admission dans les parcours de sortie de la prostitution par exemple). De même, si les moyens financiers alloués à l’accompagnement social et professionnel des personnes se prostituant ont augmenté à la suite de l’adoption de la loi, ils ont souffert d’un défaut d’anticipation, sont émiettés et les crédits déconcentrés sont fluctuants. Très peu de mesures de sensibilisation du grand public ont été déployées depuis 2016, et trop peu de formations sur le phénomène prostitutionnel et son évolution ont été mises en place à destination de l’ensemble des acteurs chargés de l’application de la loi (forces de l’ordre, magistrature, travailleurs sociaux, personnels de l’éducation nationale...). Ainsi, si la loi a réaffirmé l’engagement abolitionniste de la France, elle n’a pas déployé suffisamment de moyens pour 

atteindre cet objectif. Le comité interministériel de suivi de la loi doit être à nouveau réuni et il est nécessaire que des circulaires ministérielles soient diffusées pour clarifier la mise en œuvre de la loi.

La lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle enregistre des

résultats en hausse. Le nombre d'enquêtes pénales menées en France sur ces sujets a augmenté de 54% en quatre ans . Les moyens techniques, financiers et humains des services d'enquête spécialisés ne sont

toutefois pas à la hauteur du phénomène, en particulier dans un contexte où l’organisation du proxénétisme est de plus en plus mobile, transnationale et opacifiée par l’utilisation d’internet, des réseaux sociaux et de moyens de communication cryptés. L'importance croissante prise par internet dans le phénomène prostitutionnel justifierait, à elle seule, de renforcer les moyens affectés aux services d'enquête en matière de cyberproxénétisme.

Certaines dispositions de la loi en matière pénale sont peu appliquées. La mission a observé une convergence de la jurisprudence des tribunaux correctionnels vers davantage de sévérité en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite aux fins d’exploitation sexuelle. Toutefois, l'infraction de recours à l'achat d'actes sexuels créé par la loi est peu constatée, avec 1 939 personnes mises en cause en 2018 seulement, concentrées sur un petit nombre de territoires (Paris cumule 50% des procédures). Les stages de sensibilisation à la lutte contre l'achat de services sexuels sont peu développés. Enfin, le dispositif de protection spéciale pour les victimes de traite ou de proxénétisme en danger sur le territoire français créé par la loi n'a jamais été utilisé.

Les mesures de la loi concernant la prise en charge des personnes victimes de prostitution et de proxénétisme ont été déployées progressivement mais de façon hétérogène sur le territoire. La mise en place des commissions de lutte contre la prostitution n’est pas encore achevée, 25% des départements en étant dépourvus. Si les préfets et les associations portent un regard plutôt positif sur ce dispositif, les commissions jouent de manière diverse leur rôle d'élaboration d'orientations stratégiques, et toutes n'ont pas commencé à examiner des parcours de sortie. Les délégations départementales aux droits des femmes manquent de moyens pour mettre en œuvre efficacement ce dispositif tout en assurant leurs autres missions. Les parcours de sortie de la prostitution ne concernent encore qu’un nombre limité de personnes au regard du public potentiel : environ 230 personnes en bénéficiaient fin juin 2019. Ce faible nombre s'explique pour partie par l'importante hétérogénéité entre départements des critères d'entrée dans un parcours de sortie de la prostitution, notamment au regard du droit au séjour des bénéficiaires (ces parcours concernant presque exclusivement des personnes d’origine étrangère sans droit au séjour). La mission considère qu'il est prioritaire de préciser et harmoniser ces critères au niveau national.

Si la loi a amélioré l'accès aux droits des personnes en sortie de prostitution, celui-ci demeure perfectible, que ce soit en matière d'accès au logement (les hébergements étant souvent insuffisants pour répondre à la demande), d'obtention d'un titre de séjour, d'insertion professionnelle ou d’accès aux soins. L’amélioration de cet accès ne peut passer que par un renforcement des moyens des associations, premières actrices au contact des personnes se prostituant. En effet, leurs ressources n’ont pas été revalorisées à la hauteur du travail fourni dans la mise en œuvre des parcours ni dans la conduite des actions de réduction des risques prévues par la loi.

Enfin, la question plus spécifique de la prostitution des mineurs – qui n’est pas abordée en tant que telle par la loi du 13 avril 2016 – est préoccupante, car elle semble connaître un essor important. Il est nécessaire d’agir rapidement sur toutes les composantes de cette problématique : en renforçant la prévention au sein de l’éducation nationale, en améliorant la détection et la prise en charge des situations à risque, en améliorant la formation des acteurs de terrain et en en faisant une priorité des services enquêteurs. Une prise en charge spécialisée, comportant des hébergements dédiés et un accompagnement par des personnels spécifiquement formés, doit être développée.

 

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