Cinquante ans après la légalisation de l’avortement, un an après son inscription dans la Constitution, nous célébrons deux conquêtes historiques. Mais le paradoxe est là : alors même que ce droit est solennellement reconnu, son accès reste, en France comme à l’international, semé d’embûches. Délais trop longs, inégalités territoriales, clause de conscience, baisses de financements des associations spécialisées : pour des milliers de personnes, l’avortement demeure un parcours incertain.
En ce 28 septembre, journée internationale du droit à l’avortement, nous interpellons le premier ministre et son futur gouvernement : vos choix, à l’heure du prochain budget, diront si vous garantissez réellement ce droit, ou si vous laissez s’installer des reculs silencieux.
Le baromètre sur l’accès à l’avortement du Planning familial, publié en septembre 2024, a clairement montré à quel point l’IVG reste fragile et inégal en France :
- près d’une femme sur trois déclare avoir rencontré des difficultés pour accéder à une IVG ;
- 27 % disent avoir dû attendre plus de sept jours pour obtenir un premier rendez-vous
- plus de 40 % affirment ne pas connaître suffisamment leurs droits ou les structures vers lesquelles se tourner.
Selon la DREES, chaque année, environ 17 % des femmes doivent se rendre dans un autre département que le leur pour pouvoir avorter. Ces données ne sont pas abstraites : elles racontent la réalité quotidienne de milliers de personnes. Elles révèlent des inégalités criantes selon le territoire, le revenu, la situation administrative.
Depuis des décennies, des générations de militantes du Planning familial se battent pour que le droit à l’avortement existe réellement. Chaque année, ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont touchées par les actions du Planning familial, qui ont su y trouver écoute, accompagnement, information de manière inconditionnelle et parfois simplement la possibilité d’exercer un droit que l’État ne rendait pas suffisamment accessible. Le Planning agit partout au plus près des besoins, sur tous les territoires, en accueil collectif ou individuel, dans ses permanences et dans les établissements scolaires, dans les centres de santé, au téléphone, en ligne.
Mais ses actions sont aujourd’hui menacées par la baisse ou l’instabilité des financements publics. Les coupes budgétaires que subit le Planning familial fragilisent directement l’accès à l’IVG. Comment garantir ce droit si les associations de terrain, piliers de l’accompagnement, voient leurs moyens se réduire ?
Le numéro vert national du Planning familial en est la parfaite illustration : chaque année, environ 40 000 personnes appellent cette ligne gratuite pour obtenir des informations fiables, être orientées, lever des questionnements. Ce service, vital pour beaucoup, est aujourd’hui sous la menace d’un arrêt faute de financements pérennes. Sa disparition serait un recul majeur.
Fragilisation qui intervient alors que les mouvements anti-choix gagnent du terrain partout dans le monde. L’Europe est d’ailleurs devenue le nouveau champ de bataille idéologique des mouvements anti-genre et racistes.
Ces offensives visent aussi largement les personnes trans qui peuvent être aussi, rappelons-le, susceptibles de vivre une grossesse. Les LGBTphobies, le manque de formation des professionnel·les de santé et les refus de soins compliquent ou retardent leur accès à l’IVG. Ces discriminations sont au cœur du projet anti-genre : restreindre le droit à disposer de son corps.
Le contexte actuel est clairement défavorable aux associations féministes, qui ne se battent pas à armes égales. Alors que les pays progressistes réduisent leur soutien au tissu associatif, les financements des mouvements anti-droits explosent : plus de 1,18 milliard de dollars ont été mobilisés en une décennie selon l’European Parliamentary Forum for Sexual and Reproductive Rights. La France est au deuxième rang européen, avec 165,7 millions de dollars, juste derrière la Hongrie. L’arrivée sur la scène publique du milliardaire ultraconservateur Pierre-Edouard Stérin le montre : il ne s’agit pas seulement d’un discours, mais bien d’un projet de société – ultralibéral, traditionaliste et identitaire – financé à coups de millions.
La question se pose alors : jusqu’à quand continuerons-nous à sous-financer celles et ceux qui font progresser nos droits, pendant que les mouvements anti-choix prospèrent ? Leurs offensives ne connaissent pas de frontières : campagnes de désinformation, pressions politiques, attaques contre les associations, elles visent aussi directement la France.
À l’heure où le prochain budget va être voté, nous interpellons directement le nouveau gouvernement : vos arbitrages diront si vous choisissez de rendre ce droit effectif, ou si vous laissez s’installer des reculs silencieux.
Nous demandons :
des financements pérennes pour les associations de terrain afin qu’ils ne survivent plus dans la précarité budgétaire ;
une augmentation concrète et pérenne des moyens alloués au Numéro Vert National meilleur levier contre la désinformation
une politique publique dotée de moyens suffisants pour garantir un accès égal à l’IVG dans tous les territoires ;
la levée des obstacles persistants : suppression de la clause de conscience, amélioration de la formation des professionnels de santé, extension des délégations de tâches, ouverture ou réouverture de maternités ou de centres IVG dans chaque département ;
la fin du monopole de Nordic Pharma, seule industrie à distribuer aujourd’hui la pilule abortive en France.
L’avenir du droit à l’avortement en France se joue aussi dans les arbitrages budgétaires de ces prochaines semaines. Investir pour l’égalité de genre, pour la santé sexuelle et reproductive, c’est se battre pour une société où chacun.e a le droit de disposer de son corps, de faire ses choix et d’être accompagné.e dignement. C’est maintenant que le gouvernement doit faire des choix politiques pour prouver que l’IVG n’est pas seulement un droit proclamé, mais un droit garanti dans les faits.
Les féministes ont été là avant la loi, dans la bataille pour la conquête des droits. Nous y sommes encore, et nous ne lâcherons jamais. L’histoire vous jugera non pas sur les discours ou les hommages, mais sur la capacité politique à donner à ce droit les moyens d’exister réellement.