Sans confirmation écrite et officielle de la part des services de l’Éducation Nationale, nous apprenons l’éviction dès cette rentrée d’associations comme le Planning Familial, de l’organisation et l’animation des séances d’Éducation à la Vie Affective et Relationnelle (EVAR) en primaire. 

Que signifie alors cette éviction des professionnel·les de l’EVAR ? 

Qui assurera désormais ces séances à partir de la rentrée 2025/2026, alors que les syndicats ont déjà alerté sur le manque voire l’absence de formation des enseignant·es en la matière ? 

Comment comprendre la tension paradoxale entre un programme qui se dit ambitieux et une mise en œuvre d’emblée dégradée ?

 

Le contexte

Publiée en 2001, la loi Aubry est censée garantir aux élèves des écoles, collèges et lycées, au moins trois séances annuelles d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (EVARS). Face au constat actuel que seul·es 15 à 20 % des élèves ont droit à ces séances, des collectifs d’associations spécialisées comme le Planning Familial se sont mobilisés pour qu’un véritable programme national soit appliqué dans tous les établissements scolaires.

Le jeudi 6 février 2025, le tout premier programme scolaire consacré à cette éducation essentielle a été publié au Bulletin officiel de l’éducation nationale, pour une mise en application dès la rentrée suivante. Deux ans d’écriture auront été nécessaires pour le ministère, accompagné d’expert·es et de structures ressources, pour produire ce texte qui, malgré de lourdes pressions conservatrices, sera appliqué.

La publication de ce programme est une avancée pour combattre le sexisme et les discriminations, ainsi que les violences sexuelles dont est victime 1 enfant sur 10. Pourtant, sa mise en œuvre concrète en cette rentrée 2025 nous inquiète fortement. 

 

État des lieux

 

À titre d’exemple, par son conventionnement avec l’Éducation Nationale, le Planning Familial de l’Isère intervient dans les écoles primaires iséroises depuis plus de 10 ans. En 2024, 300 séances ont été réalisées par plus de 25 professionnel·les qualifié·es, touchant ainsi 2 330 élèves dans le département.

Le contenu de ces séances correspond aux recommandations du nouveau programme national en matière d’EVAR. L’EVAR est ainsi au cœur des missions du Planning Familial et de bien d’autres partenaires intervenant également à la demande des équipes éducatives. 

En juin 2025, le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) de l’Isère a fait savoir aux équipes pédagogiques du territoire, sans annonce formelle aux partenaires et associations spécialisées concernées, que celles-ci, qui intervenaient jusqu’à présent en appui aux enseignant·es et aux services de santé scolaire, n’étaient plus habilitées à intervenir dans le premier degré (écoles maternelles et élémentaires) à partir de la rentrée.

Le caractère soudain et opaque de ces annonces - peu nombreuses et inégales selon les écoles – est incompréhensible et traduit ce qui nous semble constituer une décision à caractère politique cédant aux offensives réactionnaires. Nous alertons sur les risques qu’une telle décision fait peser sur la mise en œuvre, dès cette rentrée, de l’éducation à la vie affective et relationnelle. 

 

Pourquoi c’est grave

 

Nous rappelons que plus de 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles et que la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) recommande l’intensification de leur repérage dès le plus jeune âge. Les séances d’EVAR sensibilisent précisément les enfants à la connaissance de leurs émotions, de leur corps, de leurs limites et de celles des autres. Ces séances outillent les enfants à repérer les situations qui outrepasseraient leur consentement et à en parler à des adultes de confiance.

À l’école primaire comme ailleurs, aborder des sujets qui concernent l’intimité exige une préparation et un encadrement à la hauteur de l’enjeu : concertés, sécurisants, sensibles, non-directifs. Parler  de puberté, de consentement ou de violences, notamment sexuelles, est encore tabou. L'enjeu est ainsi, pour les professionnel·les qui dispensent l'EVAR, non seulement d'être en capacité d’entendre et de faire quelque chose des paroles confiées par les élèves quand cela est nécessaire mais, même avant cela, de garantir un cadre permettant la libre expression. En séance d’EVAR, aucun mot, aucune question, ne doit être interdite, tant que cela est posé dans le respect des autres. Cette liberté de parole est facilitée par la présence de professionnel·les extérieur·es.

 

Exclure les partenaires tiers des séances, c’est donc refuser de se donner les moyens nécessaires pour outiller les élèves face aux discriminations et violences auxquelles beaucoup sont confronté·es quotidiennement, afin de les comprendre et de s’en prémunir.

 

Nous sommes convaincu·es que pour préparer et animer les séances d'EVAR, la complémentarité entre l'enseignant·e et une personne tierce, professionnelle et formée, est indispensable.

 

La formation des professionnel·les, un enjeu fondamental

 

Un cadre à la hauteur de l’enjeu, c’est une exigence quant à la formation des personnes qui accompagnent les élèves sur ces sujets. Présentement, les enseignant·es du primaire nous ont témoigné ne pas être encore suffisamment formé·es, que ce soit pour mener des actions pédagogiques à la hauteur des besoins mais également pour se sentir elles et eux-mêmes sécurisé·es et à l’aise avec ces sujets qui requièrent savoirs spécifiques, méthodologie, temps, analyse de la pratique et outils, des sujets qui ne s’improvisent pas.

Pour cette rentrée en l’Isère, seul un webinaire de 4 heures est prévu pour former les enseignant·es. 4h de webinaire, ce n’est pas une formation. En comparaison, les professionnel·es du Planning Familial suivent une formation certifiante de 2 ans, s’appuyant sur des stages, de l’analyse de la pratique et de la formation continue, dans un cadre de promotion de la santé et d’approche globale des personnes en matière de vie relationnelle, de sexualité et d’accompagnement des vécus de violence.

 

C’est dans ce contexte que nous, Planning familial 38, syndicats de l’Éducation Nationale et autres acteurs de l’éducation et de la prévention en Isère, alertons sur ce qui constitue une décision désastreuse pour la lutte contre les violences, notamment sexuelles, faites aux enfants.

Nous nous mobilisons pour obtenir des moyens à la hauteur des enjeux :

  • Les séances d’EVAR en primaire doivent pouvoir être préparées et co-réalisées par les enseignant·es et des partenaires extérieur·es, dont les qualifications et l’expérience en la matière sont reconnues ;

  • Les personnels travaillant dans les écoles doivent bénéficier de véritables formations en équipe à la mise en œuvre de l’EVAR, comprenant des temps de travail dédiés avec les associations partenaires locales ;

  • Nous appelons enfin à la défense d’associations comme le Planning Familial, pour lesquelles les séances d’EVAR constituent leur cœur de métier quotidien, et dont l’expertise professionnelle en matière d’éducation à la vie affective et sexuelle et de prévention des violences doit être reconnue.

 

Les signataires

Les Syndicats Asso 38 Solidaires ; CFDT Education Publique Académie de Grenoble ; CGT Éduc’Action Isère ; CNT Éducation ; CNT Santé-Social ; FSU 38 ; LDC Éducation ; PAS38 ; Sud Éducation 38 ; Sud CT Isère ; Sud Santé-Social Isère ; UNSA Éduc.

Les Centres de Santé Sexuelle Bourgoin-Jallieu ; Grenoble Clinique Mutualiste ; Échirolles-Eybens ; Grenoble Gambetta ; Grenoble Interquartiers ; Meylan Le Douze ; Pont de Beauvoisin CH Yves Touraine ; Pontcharra Agathe ; Saint-Égrève ; Saint-Marcellin CH IVI ; Villard-Bonnot ; Villefontaine et Voiron ; le Centre de Santé Communautaire Village 2 Santé Échirolles.

Les organisations Association Ancrage ; Association Bon Sang! ; Centre LGBTI Grenoble ; Collectif Enfantiste 38 ; La Fédération des Parents d’Élèves FCPE Isère ; Association Feeling Voiron ; La Ligue de l’Enseignement de l’Isère ; Collectif La Nébuleuse 38 ; Nous Toutes 38 ; Compagnie La Pagaille ; Protection de l'Enfance Alexis Dannant 74 ; Collectif Sans Gamètes ; Association Serein·es ; Organisation de Solidarité Trans OST 38 ; SOS Inceste Pour Revivre 38

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